La protection du patrimoine rural

dimanche, août 23, 2009 Publié par Philippe M.


La question de la protection du patrimoine rural et agricole se pose avec une grande acuité. En effet ce patrimoine vernaculaire ou du quotidien est confronté à plusieurs dangers dus aux changements qui interviennent dans la société rurale. Le premier de ces changements et le plus sensible est celui de la perte d’usage et de fonction qui affecte une grande partie du patrimoine rural. Les modes et les techniques d’exploitation ont évolué rendant inutiles ou inadaptés de nombreuses granges, étables, écuries, bergeries, pigeonniers, mais aussi fermes entières du fait du regroupement des exploitations. La fin de certaines cultures a aussi entraîné le non usage de certains types de bâtiments. A quoi serviraient les maisons de vigneron sur un territoire qui a abandonné depuis la crise du phylloxera il y a un siècle, son vignoble ? Parallèlement le bâti rural et agricole doit aussi assumer les profondes mutations sociales qu’il subit. Là où il y avait dix personnes il n’y en a plus qu’une. Ce sont autant de bras qui disparaissent pour les travaux d’entretien et si les paysages agricoles ne sont plus travaillés comme auparavant il en est de même pour le bâti. Ainsi la déshérence est le premier danger. Il se trouve d’autant accrû qu’il se conjugue avec la forte pression urbaine et démographique qui s’exerce sur les villages ruraux. Le patrimoine rural et agricole traditionnel se trouve, donc, dans une situation qui n’est guère favorable. Il faut agir rapidement pour sa sauvegarde afin d’en préserver les particularités et, au delà, l’identité d’un territoire qui représente plus de la moitié de l’Ile-de-France.
Une part du patrimoine des campagnes a déjà été protégée par les moyens classiques, d’une part ceux de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques et d’autre part ceux de la loi du 2 mai 1930 sur les sites. Mais cela ne suffit pas compte tenu de la nature particulière de ce type de patrimoine. Le patrimoine vernaculaire demande une protection adaptée, permettant entre autre de dépasser la notion de monument c’est à dire d’objet, facilement identifiable, pour celle d’ensemble (cœurs de bourg, linéaire, front de rue…). Il est donc nécessaire de voir comment s’appliquent les textes existants dans le domaine du patrimoine rural et agricole, leurs limites et la manière dont certains instruments sont à développer ou à adapter en particulier pour mieux informer et impliquer tous les acteurs concernés.
I- Les protections classiques
II- Les protections par les règles d’urbanisme
III- De nouvelles protections


I- Les protections classiques

Classement ou inscription des sites et des monuments historiques Ces deux modes de protection sont du ressort de l’Etat. Ils sont suffisamment anciens (lois de 1913 et de 1930) pour que soit bien connu ce qu’ils ont pu apporter. Aucun des deux n’a été établi pour protéger spécialement le patrimoine rural. En conséquence, si la législation sur les Sites peut, pour une part, avoir un certain impact en matière de patrimoine rural et agricole, en revanche, celle des monuments historiques ne vient à son aide que d’une manière indirecte.
· L’Ile de France comprend 266 sites inscrits et 251 classés. En excluant ceux de Paris ou compris dans les secteurs urbains cela représente 189 690 hectares dans lesquels le territoire rural a la part belle.
· Sur les 3910 monuments protégés au titre de la loi de 1913 (classement ou inscription) le patrimoine rural et agricole est le parent pauvre avec environ 130 édifices protégés (colombier, granges, bergerie, il comprend également puits, abreuvoirs). Ce chiffre englobe un certain nombre d’éléments qui ne sont pas exclusivement liés à la terre et à son exploitation tels que les croix de chemin, les moulins. Quant à certaines fermes ou communs de domaines seigneuriaux dont ils sont des éléments constituants il est difficile de savoir à quel titre exact ils sont protégés. Sans doute peu pour des critères liés à la ruralité ou à l’agriculture… Seule une dizaine de grandes fermes de plaine sont protégées plus quelques autres en partie (porche, douves…). En revanche aucune maison de vigneron… ni bricole ni maison de pailleux ne le sont.

La protection des abords
Mais pourtant le classement ou l’inscription d’immeubles au titre des Monuments Historiques est important pour le patrimoine rural et agricole grâce à ses conséquences. En effet, au titre de la protection des abords, un périmètre de 500 mètres est établi autour des monuments historiques, soit une zone de 78 hectares. Ainsi au delà de la protection de plus de 350 églises rurales auxquelles il faut ajouter quelques dizaines de manoirs ou châteaux de bourgs, ce sont en fait de très nombreux espaces qui se trouvent protégés. Servant d’écrin aux monuments historiques selon le critère dit de la co-visibilité, ce périmètre entraîne l’obligation de recueillir l’avis de l’Architecte de Bâtiments de France (A.B.F.) pour toutes les opérations requérant permis (construction ou démolition) ou déclaration (travaux). La majorité des églises rurales se trouvant au cœur des bourgs, la protection qui les concerne, entraîne celle, indirecte, du noyau en principe le plus ancien de la commune où se trouvent les maisons rurales, les lavoirs, les cours, et aussi les murets de clôture etc. pouvant ainsi leur assurer une relative protection.

Mais elle est loin d’être totalement efficace, d’une part puisqu’elle n’a de réelle portée que si les éléments protégés sont en centre bourg ce qui n’est pas toujours le cas, une partie du patrimoine protégé étant isolé (croix de carrefour, bornes, fermes de plaines, moulins etc.), et d’autre part, car elle est liée à l’évolution de la reconnaissance du patrimoine rural et agricole inclus dans l’espace des 78 hectares. Or celle-ci n’est que très récente et pas partagée par tous. Elle a longtemps été niée et beaucoup de villages anciens ont été déjà plus ou moins dénaturés. Il faut compter avec la prise de conscience accrue en faveur du patrimoine vernaculaire et de l’identité locale, pour que le périmètre soit mieux utilisé comme instrument de protection. La loi SRU qui permet d’en corriger les pourtours pour éviter la rigueur de l’arithmétique d’un rayon de 500 mètres en prévoyant l’adaptation au zonage le plus intéressant, est une avancée en ce sens.



II- Les protections par les règles d’urbanisme

Il y a deux types de protections : certaines sont générales, une autre spécialisée.

Les règles d’urbanisme générales Même si les exploitations agricoles, au sens strict du terme, connaissent un régime dérogatoire en matière de règles d’urbanisme, celles-ci s’appliquent néanmoins sur une partie importante du territoire rural et notamment dans les parties urbanisées (cœurs de bourgs / villages). Or ces règles, bien utilisées, contribuent ou peuvent contribuer à la protection et à la sauvegarde du patrimoine surtout si elles sont renforcées par les documents d’urbanisme et accompagnées de mesures spécifiques.

Permis et autorisations
Le patrimoine vernaculaire non protégé trouve dans les pouvoirs d’urbanisme confiés aux Maires des instruments de protection, même si dans les communes rurales ce pouvoir est restreint. En effet tout ce qui touche aux fermes et donc aux bâtiments liés à l’exploitation agricole se trouve placé hors du droit commun et bénéficie d’un régime particulier permettant de ne pas avoir besoin de recourir aux autorisations ou déclarations de travaux.
Les règles habituelles concernent essentiellement deux points : d’abord l’obligation de permis de démolir et de déclaration de travaux.
Un Maire peut s’opposer à la destruction d’un bien qui présente un intérêt patrimonial. Lors de travaux déclarés il est en droit pareillement d’exiger le respect de certaines règles notamment liés aux matériaux. Le permis de construire peut aussi être un bon vecteur notamment lorsqu’il est demandé pour une extension de bâtiment ou pour sa transformation. C’est alors un moyen de faire respecter là aussi l’usage de matériaux mais encore plus de forme (pour les ouvertures, les toitures, les volumes etc.). Si cette protection existe peut-être n’est-elle pas suffisamment employée. Certaines municipalités hésitent à les mettre en œuvre soit par frilosité, soit par manque de connaissances (du patrimoine comme de la législation…).

Documents d’urbanisme
Si toutes les communes rurales n’étaient pas astreintes du fait de leur faible population à l’obligation des POS, nombreuses étaient celles qui y ont eu recours. Elles avaient, en effet, compris qu’il y avait là un moyen de préserver une partie de leur patrimoine bâti. Tel est le cas désormais avec les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU). En effet les communes peuvent y trouver plusieurs outils utiles : tout d’abord le zonage permettant de « délimiter les quartiers, rues, monuments, sites et secteurs à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs d’ordre esthétique, historique ou écologique » (Article L. 123-1). La mesure était favorable en particulier aux cœurs de bourgs anciens. C’est ce qui a permis de maintenir l’unité de certains. Mais ces dispositions ne sont pas pérennes et peuvent être remises en cause.

Second instrument utilisable des PLU, le Cahier de prescriptions qui donnent les nécessaires repères en matière de matériaux et de formes des constructions. Enfin, désormais les PLU peuvent aussi faire référence à des Chartes patrimoniales ou environnementales qui permettent de tenir compte de l’identité patrimoniale des lieux. Les documents d’urbanisme peuvent être des instruments de sauvegarde s’ils sont bien utilisés et marquent la cohérence de l’action qui doit être menée. Pour avoir encore plus de poids ils peuvent être accompagnés d’autres mesures. Les mesures d’accompagnement D’autres moyens, eux aussi à l’initiative des collectivités locales existent.

Tout d’abord l’OPAH (Opération Programmée de l’Habitat) permet d’améliorer les logements anciens et leur environnement dans un périmètre donné. Il s’agit d’une action d’aménagement qui coordonne l’action publique et l’action privée. Elle permet entre autre de réhabiliter le patrimoine bâti et d’améliorer le confort des logements tout en intégrant ces travaux dans une politique globale d’aménagement et de valorisation de l’espace. Elle peut également porter sur la réfection des façades, mesure souvent efficace pour permettre à un cœur de bourg de conserver son unité visuelle. Deuxièmement les contrats ruraux sont aussi une mesure fréquemment employée pour venir en aide au patrimoine rural. Ils ont un champs d’intervention très large, adaptable à beaucoup de situations comme la mise en valeur des entrées de village, la restauration de monuments protégés ou non voire l’aménagement de locaux communaux… Ce contrat conclu entre la Région, le département et une commune de moins de 2 000 habitants permet ainsi d’accompagner efficacement les autres mesures de protections du patrimoine.

Les ZPPAUP
C’est dans le cadre des lois de décentralisation de 1982/83 que le législateur avait tenu à donner un complément rural aux secteurs sauvegardés, créés initialement pour le milieu urbain. Ce furent les Zones de Protection du Patrimoine Architectural et Urbain (ZPPAU), créées par la loi du 7 janvier 1983 (article 70). Elles permettaient aux communes d’établir des zones « autour des monuments historiques et dans les quartiers et sites à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs d’ordre esthétique ou historique ». La commune, décentralisation oblige, a l’initiative de la mise en œuvre de la procédure. Mais celle-ci demeure assez lourde et le poids des autorités de tutelle, dont le rôle est nécessaire pour la garantie scientifique des projets, est très important. Cela explique le faible résultat obtenu vingt ans après la mise en place du dispositif. Sur les 1280 communes d’Ile-de-France, seul 33 (chiffre 2003) ont bénéficié de cette procédure. Beaucoup de demandes n’ont pas abouti malgré l’élargissement de la procédure à la protection des paysages (loi paysage de 1993 transformant les ZPPAU en ZPPAUP) et parmi les communes élues seulement 13 peuvent être considérées comme rurales. Il s’agit pourtant d’un instrument qui a donné d’heureux résultats là où il a été mis en œuvre.



III- De nouvelles protections
Devant l’ampleur et les enjeux de nouveaux moyens ont peu à peu été mis en place tant par le législateur que par les collectivités conscientes de l’importance du patrimoine bâti pour l’identité des territoires qu’elles ont à gérer. Ils s’adressent essentiellement aux particuliers mais s’insèrent dans des politiques publiques.

1. La labellisation de la Fondation du patrimoine Pour certains c’est après le classement et l’inscription le troisième mode de protection. Il s’adresse tout particulièrement au patrimoine vernaculaire catégorie dans laquelle entre le patrimoine rural et agricole. La Fondation du patrimoine a été créée sur le modèle du National Trust britannique. Elle est habilitée à décerner un label sous le contrôle de l’architecte des bâtiments de France. Dés lors qu’un bâtiment l’obtient il peut bénéficier à la fois de subventions publiques, notamment des collectivités locales, et de dégrèvements fiscaux imputables sur l’IRPP. Cette procédure en est encore à ses premiers pas. Son développement permettra de mieux prendre en compte le patrimoine rural dont la préservation ne pouvait, jusqu’alors, que reposer sur la bonne volonté et les financements privés.

2. Aides à la reconversion
La désaffection et la perte d’usage sont souvent les principaux dangers qui guettent le petit patrimoine rural. Ayant perdu leur fonction initiale et leur usage compte tenu du coût de leur maintien en état, les bâtiments sont peu à peu abandonnés et disparaissent par défaut d’entretien quand ils ne sont pas purement et simplement détruits notamment en cas de risques et périls. Pour remédier à ce cercle vicieux, les reconversions sont encouragées et elles apparaissent ainsi comme un très bon auxiliaire de la protection et de la sauvegarde. Ces reconversions portent essentiellement sur l’habitat et le tourisme en transformant les bâtiments inoccupés soit en logements soit en hébergement touristique (chambre d’hôte, gîte d’étape…). Elles concernent aussi le maintien de certaines activités de commerce de proximité. Pour encourager et financer ces reconversions qui ont un coût et effectuer les travaux de mises aux normes de confort, des subventions d’investissement sont octroyées par l’ANAH (Agence Nationale d’Amélioration de l’Habitat) et par les collectivités locales (région et départements) qui voient dans cette nouvelle activité rendue possible, un bon moyen de préserver une part du patrimoine rural.

3. La formation
Pour préserver le patrimoine rural et agricole, au delà des différentes aides, des mesures de sauvegardes et des labellisations, un travail pédagogique doit aussi être entrepris. Là aussi depuis la mise en place de la décentralisation de nouveaux moyens ont été développés. Tel est en effet le rôle des CAUE (Conseil d’Architecture d’Urbanisme et d’Environnement) et des services d’Inventaire, voire dans certains départements par la création de services du patrimoine. Ces différents organismes délivrent des informations en direction des divers acteurs concernés par le patrimoine rural et agricole afin de les motiver.
o Vis à vis des élus et des administrations territoriales, une sensibilisation à la nécessité de sauvegarder le patrimoine rural s’impose avec comme corollaire une information sur les différents types de protections, leur mise en œuvre, leurs avantages et contraintes ;
o Vis à vis des particuliers détenteurs de la plus grande part de ce patrimoine, une information pédagogique doit être faite de manière à leur faire comprendre l’intérêt tant individuel que collectif de ce type de patrimoine, en insistant sur les questions de rénovation, sur l’usage des matériaux, des couleurs, sur le respect des formes traditionnelles. En corollaire il convient de montrer que si tout cela à un coût, une part, non négligeable, peut être prise en compte par la collectivités (subventions ou dégrèvements fiscaux) et que l’entretien du Patrimoine est aussi un moyen d’entretenir son patrimoine.
o Enfin, vis à vis des professionnels du bâtiment il faut inciter à la formation aux techniques traditionnelles, à l’emploi des matériaux garantissant l’unité et le respect des édifices anciens, à l’encouragement pour la restauration plutôt que pour la reconstruction ce qui est aussi un gage de développement durable en favorisant l’économie des matériaux.

Conclusion
Protéger le patrimoine rural et agricole est une nécessité pour préserver la qualité des paysages qui contribuent à l’image de la métropole francilienne. Les instruments de protections doivent être mieux adaptés à ce volet spécifique du patrimoine. Les documents d’urbanisme sont d’une aide précieuse s’ils sont bien utilisés. Les réflexions à plus long terme sur l’aménagement du territoire doivent être aussi l’occasion d’ouvrir ce vaste chantier qui participe, lui aussi, au développement durable et qui contribue à améliorer la qualité de vie de chaque francilien.
Texte datant de 2004, mériterait d'être remise à jour.
Utile pour ouvrir le débat et rappeler certains principes.
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1 commentaires:

  1. Anonyme a dit…

    Texte très intéressant.
    Il faudrait en donner d'autres et développer vos idées.
    Mission patrimoine IAU

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