La hiérarchisation des communes

mercredi, décembre 14, 2011 Publié par Philippe M.



LaH situation en ïle-de-France

Géographie et histoire ont joué un rôle important pour l’apparition et le développement du réseau urbain régional. L’étude de la géographie des lieux à travers les reliefs, la topographie, les cours d’eau etc. permet de comprendre l’état, la naissance et le développement des villes et bourgs anciens. C’est elle qui, par exemple, à travers des éléments facilitant ou non les passages, ou la protection expliquent les points de passages obligés ou les points de fixation. Ainsi, les premières villes s’installent souvent aux confluents soit des grands affluents (Charenton [Marne], Conflans-Sainte-Honorine [Oise], Montereau [Yonne]) ou encore de rivières à l’importance plus locale comme Pontoise [confluent de la Viosne] ou Corbeil à la confluence de l’Essonne. D’autres cités se positionnent sur les îles qui permettent à la fois la défense et le franchissement en particulier des cours d’eau importants comme à Paris avec la Seine, bien évidemment, mais aussi en amont, Melun et, en aval, Meulan qui ont la même étymologie mediolanum.

Mais, après le XIIIème siècle et la reprise en main du pouvoir royal avec les premiers capétiens, une nouvelle conception de la ville s’impose. Plus large. Les historiens parlent de « renaissance urbaine ». Elle est lieu de pouvoir. Se développent alors les« Villes royales » qui vont souvent cumuler ou assurer plusieurs fonctions : militaire et administrative (Vincennes ou Dourdan), religieuse et économique (Saint-Denis). Mais le mouvement est plus large que les seules villes royales. A l’opposé de la ville royale il y a dans certains secteurs, notamment les secteurs frontières entre deux principautés territoriales des villes de colonisation qui sont créées de toute pièce (Villeneuve le comte par exemple), mais ce sont des exceptions qui répondent à des besoins particuliers où les contingences politiques tiennent une grande part.

Les cités de la renaissance urbaine médiévale se développent plus naturellement par l’association des trois fonctions primordiales de la ville : économique (marché et échange), administratif (en particulier lié aux droits et taxes à faire rentrer) religieuse (ville et paroisse se confondent) qui sont la raison d’être des villes. Certaines d’entre elles s’inscrivent déjà dans un mouvement économique plus vaste comme les villes de foires dont Provins pour l’Ile-de-France[1] est l’archétype.

Mais toutes ces villes sont étroitement liées à la vie sociale et à ses évolutions notamment politiques et économiques. Le pouvoir (au sens moderne du terme) restera longtemps morcelé et éclaté (féodalité) et le roi ne le remplacera qu’avec les baillis et sénéchaux puis les gouvernements et enfin les intendances et leurs subdélégations. Le premier mouvement, celui des villes de bailliage et de sénéchaussées concerne en Ile-de-France, une douzaine de villes (Dourdan, Etampes, Mantes, Meaux, Melun, Montfort-L’Amaury, Nemours…) qui y trouveront leur essor car ce sont parfois à l’origine des villes « royales »[2]. Elles sont habituellement situées dans un rayon de 10 à 30 Km entre elles. C’était la bonne échelle pour une circonscription qu’il fallait parcourir à cheval, circonscription qui devait tenir compte aussi des vicissitudes de la géographie et des contingences historico-politique…

La vie économique impose aussi ses règles. Si le village peut se suffire d’un petit marché forain où les ruraux se contentent d’échanger les produits de base de leur exploitation plus ou moins sous forme de troc, il faut rapidement penser à organiser une vie économique plus structurée autour de vrais marchés qui ne servent plus aux échanges entre les exploitations mais entre les bourgs eux-même à des fins non plus seulement utilitaires mais aussi financières. Dans les bourgs les plus importants, cela entraîne l’apparition des « marchands et artisans » inséparables de la ville et qui s’organiseront rapidement en corporations et métiers. Les villes bailliage y trouvent une seconde vocation, mais d’autres ainsi émergent de ce mouvement qui aboutira au réseau de villes moyennes.

L’essor de Paris qui devient dès le XVème siècle une ville de plus de 200 000 habitants, impose de nouveaux modes d’approvisionnement et les marchés « d’intérêt régional » commencent à apparaître. Paris joue ce rôle mais ne peut répondre à tout. D’autre villes, Poissy, Sceaux, par exemple vont aussi y participer à travers des marchés spécialisés celui des bestiaux en particulier pour approvisionner la capitale.

Versailles à la fin du XVIIème impose une sorte de rupture dans l’évolution. D’un seul coup une idée nouvelle fait son apparition, celle de la ville fonctionnelle, administrative tout autant qu’elle est aussi l’affirmation d’un pouvoir centralisé et celle d’un art de vivre (le classicisme), marquée en particulier par l’organisation de la ville dans l’espace.

Le pouvoir rendu à Paris dès la Révolution et encore plus avec l’Empire, la ville fonctionnelle se développera d’une autre manière. Révolution industrielle aidant plus ou moins, ce sera la ville des manufactures, celles des grandes usines et des logis de qualité ou plus ou moins médiocres selon les lieux (des pavillons de banlieue aux lotissements) et construits initialement sans règles d’urbanisme adaptées, même s’il faut faire remonter les premières au milieu du XVIème siècle et au début du XVIIème siècle, mais elles concernaient essentiellement Paris.

Mais cette ville renouera aussi avec la géographie ce qui n’était pas le cas pour Versailles (ville « décrétée ») dont la seule vraie justification géographique était d’être au centre d’un territoire de chasse… Au contraire, les nouvelles villes industrielles (« spontanées ») se bâtirent à proximité des voies de circulation, fleuve et canaux en particulier. Cela entraînera leur concentration et une profonde modification de la trame urbaine régionale qui avait assez peu variée depuis 1000 ans même si des évolutions avaient eu lieu. Les hinterlands traditionnels qui jusqu’alors avaient respecté les espace naturels dans une approche très eco-systèmique d’un équilibre, certes empirique et concret mais, plus ou moins permanent à travers les siècles, ont été absorbés progressivement, mettant fin à l’ordonnance quasi arithmétique qui organisait le maillage urbain francilien : le village et ses exploitations formant un rayon de 2 à 4 Km (pour tenir compte de la qualité des terres et des distances parcourables par « l’homme au travail », le « finage [3]»), le bourg environ tous les 7 Km, distances qui permet aussi le relais des chevaux, les petites villes (marchés/pouvoir) dans un rayon de 20 à 30, les villes « cathédrales », enfin de 50 à 100 km (Meaux en Ile-de-France actuelle, Beauvais, Sens, Chartres à l’extérieur des limites administratives). Toutes ces composantes donnent encore à l’Ile-de-France sa forme spécifique et l’essentiel de sa trame urbaine ancienne dont on suit l’évolution de la carte de Cassini jusqu’à celle du tout début du XXème siècle. Cette trame était d’autant plus remarquable qu’elle avait une double lecture. En effet pour une part elle était centrée autour de Paris qui en était le cœur et les liens étaient constant entre la capitale et ses faubourgs plus ou moins éloignés, mais au delà il y avait tout un ensemble de poly-centralités naturelles découlant de la nécessaire adaptation aux exigences de la ruralité.

A l’opposé des villages et des petites villes axées sur une économie rurale, les villes industrielles se « collèrent » les unes aux autres formant, peu à peu, une agglomération dense, centralisée, uniquement ordonnée autour des voies d’eaux d’abord, avant de découvrir ensuite les voies ferrées puis les autoroutes pour ne former plus qu’une immense agglomération rayonnant en étoile depuis son centre. La transformation fut si radicale qu’historiens et géographes auront, au départ, du mal a bien identifier et nommer cette « nouvelle ville » et il faudra un certain temps pour distinguer entre la mégalopole, la métropole, l’agglomération ou encore la conurbation. Tous s’accordent à y voir la zone dense que les politiques ne sauront que difficilement gérer, hésitant toujours entre différents modèles allant du découpage administratif régulièrement modifié et adapté (Département de la Seine, District, découpage en plusieurs départements, régionalisation), aux différentes projets et schémas d’aménagement qui fêteront bientôt leur 100 ans (projet Cornudet de 1919), en passant par les modes de gestion variés allant de la centralisation (étatique ou parisienne) à la concertation sans que les problèmes urbains soient encore totalement résolus…

[1] Provins qui au XIIIème siècle était dépendante du comte de Champagne et non du domaine royal. Elle bénéficiait ainsi d’une position stratégique entre plusieurs principautés territoriales et rayonnait autant vers Paris que, au nord, vers les Flandres et au delà le marché anglaise, et au sud vers l’Italie.
[2] Plus tard elle deviendront souvent Chef lieu de canton , d’arrondissement ou de département suivant leur évolution propre.
[3] « Le finage de la communauté agraire était un territoire vécu au quotidien par les paysans au travail. Sa cohérence tenant à la proximité entre habitat, champs et prairies, une certaine limite ou taille optimale découlait des conditions techniques et des choix de cultures » , d’après Les communautés rurales en France du XVème au XIXème siècle, dans Histoire et sociétés rurales, n° 12, 2ème semestre 1999.
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