Vauhallan et Mère Geneviève Gallois
Geneviève Gallois, une grande artiste qui honore Vauhallan
Entre le voile et le
génie
Vauhallan a été le siège d’un évènement national avec le
colloque tenu, à l’occasion du
cinquantième anniversaire de sa mort,
sur mère Geneviève Gallois, le week-end des 6 et 7 octobre à l’Abbaye de Limon et à la salle
polyvalente de la commune. Ce colloque honore Vauhallan par la qualité des orateurs. Cette
manifestation formait la troisième marche de la reconnaissance publique de la
moniale artiste après l’exposition du Musée des Beaux-Arts de Rouen en 2004 et
celle quatre ans plus tard du Musée national des Granges de Port-Royal à
Chevreuse. Ces expositions avaient montré par l’immense engouement qu’elles
avaient suscité au point que les deux catalogues sont épuisés, que Mère
Geneviève Gallois trouvait son public et que son génie émergeait de la solitude monastique. Le colloque
organisé par l’Abbaye de Limon qui depuis des années, avec celle de Jouques
près d’Aix-en-Provence[1],
met en valeur le travail de l’ancienne moniale, a permis de faire un point sur une œuvre demeurée
longtemps méconnue et nous attendons avec impatience la programmation du film « le génie et le
voile » réalisé par Lyzette Lemoine et Aubin Hellot qui devrait passer sur
KTO prochainement. Projeté dans la salle polyvalente de Vauhallan, il a servi d’émouvante
conclusion aux deux journées.
Mère Geneviève
(1888-1962) a une personnalité hors du commun. Religieuse entrée au
couvent à l’âge de 29 ans, elle avait choisi un ordre cloîtré, celui des
Bénédictines de Saint-Louis du Temple alors installé à Paris, rue Monsieur, à
proximité du boulevard des Invalides. Ainsi son art fut longtemps enfoui,
c’est-à-dire limité à ses consœurs, ou à quelques personnes dont le docteur
Paul Alexandre qui avait su apprécier les travaux qu’elle effectuait pour sa
communauté. En effet elle travaillait au sein d’un atelier de vêtements
liturgiques dont elle dessinait les motifs après les avoir esquissés sur papier, et d’un atelier de gravures d’images
pieuses, autre source de revenus du
couvent. Le fils du docteur Alexandre est venu dire comment son père avait
découvert ce talent en 1931 à l’occasion d’une vente de charité du couvent. Mais entre la
reconnaissance d’un amateur averti et éclairé –n’avait-il pas aussi, un des premiers,
découvert le génie de Modigliani ? - il y a encore du chemin à parcourir
pour une reconnaissance de l’œuvre. Le
temps doit accomplir son travail. Au sein de son couvent, où l’art n’était pas
absent puisque c’était un des hauts lieux du chant grégorien à Paris, même si elle n’était pas comprise de tous, et notamment de l’abbesse qui l’accueillit en
1919, son talent était apprécié puisqu’on lui confiait des tâches artistiques.
Mais elle-même, en s’isolant du monde laïc, avait aussi, d’une certaine
manière, rompu avec ce qui avait fait la première partie de sa vie. Après des
études à Montpellier qui l’avaient menée aux Beaux-Arts de Paris, elle avait
connu une première carrière ponctuée d’expositions et de commandes dénotant une
précoce notoriété. En particulier sa proximité avec le caricaturiste Willette, un ami de son
père, lui avait permis de découvrir les
vertus du trait rapide qui décrit une émotion et donne du sens et du
signifiant. Toute son œuvre postérieure en fut empreinte. Mais, et de manière
plus profonde, l’œuvre de Mère Geneviève Gallois ne peut vraiment se comprendre
qu’à travers son apparent renoncement à l’art durant une vingtaine d’années au
nom d’un don total à Dieu et à la vérité
qu’il incarne. Ces aspects psychologiques ont bien été décrits par Mme Catherine Marès auteur d’une récente
biographie spirituelle et artistique de l’artiste[2].
Les Conservateurs de Rouen et de Port-Royal montrèrent
combien l’œuvre de mère Geneviève
Gallois, s’inscrit parmi celle des plus grands peintres du XXème siècle. Mais
la difficulté est de la rattacher à une quelconque école. L’on sait combien
notre esprit rationnel, même en art, aime à ranger les peintres dans des
catégories. Pour une artiste ayant quitté le monde profane, c’est-à-dire les
échanges quotidiens avec d’autres artistes, l’approche ne peut être que
différente. Ainsi les premières années, jouent un rôle considérable. L’exposé de
Noël Alexandre a permis de faire comprendre combien dès sa jeunesse, Marcelle
Gallois (elle ne prendra la nom de Geneviève qu’après avoir prononcé ses vœux
monastiques) possède un style propre qu’elle a acquis en travaillant beaucoup à
la fois la nature et le portrait où véritablement elle excellait. Ainsi dans la
profondeur de sa méditation religieuse et de son enfouissement au monde pour
mieux se donner à Dieu elle a développé ses talents de manière autonome. Mais
les prémisses de ce qu’elle avait vu et compris du 20ème siècle
pictural qu’elle avait vu naître, vont continuer à germer en elle et à
s’épanouir. Comme la graine de sénevé qui reste des années sous terre, elle
éclora naturellement, pour donner à son œuvre son caractère si particulier. Son
expressionnisme fait la synthèse entre
la figuration et l’abstraction. Entre les deux grands courants de l’art
contemporain elle inscrira sa propre marque.
Celle-ci éclatera avec ce qui sera sa dernière commande. En
effet, l’Ordre Saint-Louis du Temple a dû quitter ses locaux parisiens et le
choix se porte sur le domaine de Limon à Vauhallan. Mais il s’agit d’y
construire un nouveau couvent dont les travaux ne débuteront qu’après la
seconde guerre mondiale. La première pierre sera posée par le Nonce Apostolique
du Pape Pie XII en France, Monseigneur
Roncalli, le future Pape Jean XXIII. Mais aux bâtiments conventuels et notamment
à l’église il faut des vitraux. Ainsi dès 1951 son abbesse commandera à Mère Geneviève les 22 verrières qui doivent orner l’église.
Elle s’y attelle. Art nouveau pour elle, elle apprendra à le maîtriser et le
magnifier. Ses vitraux sont à la fois un livre d’écriture sainte et un livre de
vie religieuse. Elle qui, avant cette
commande, n’avait jamais abordé cet art si particulier qu’est le vitrail, s’y impose
vite par son talent. Elle reçut aussi la
commande d’une autre série pour une
humble église rurale proche de Dieppe au Petit Appeville.
Les vitraux de Limon sont un symbole de son art puisqu’ils
sont autant de fenêtres ouvertes sur le monde témoignant de son art reconnu. Cette reconnaissance doit beaucoup au travail
inlassable de Noël Alexandre. Le fils du docteur Paul Alexandre, le découvreur
du talent de la religieuse, a lui-même
connu Mère Geneviève Gallois. Surtout,
Il a recueilli de son père toute
sa sensibilité et sa compréhension de l’artiste et d’une œuvre qui ne se livre
pas au premier coup d’œil. Ainsi il a
réalisé, lui aussi durant longtemps dans
une certaine solitude, un travail incomparable pour faire apprécier et connaître
Mère Geneviève Gallois[3].
Son livre paru en 1999 est désormais le travail de base sur lequel tous peuvent
s’appuyer. Travail de fond qui permet de
suivre pas à pas le processus de création artistique de la religieuse et de le
comprendre car au-delà de ses qualités d’historien, Noël Alexandre est aussi un
homme de foi à la piété profonde. Ainsi il peut découvrir à la fois le peintre,
sa technique et ce qui l’anime. Son livre est le reflet qu’il fallait à cette
œuvre si spécifique.
Comme l’a souligné le Conservateur du Musée de Rouen
Diederik Bakhuÿs, il reste maintenant à établir le catalogue raisonné de
l’œuvre de Mère Geneviève Gallois. Nul doute que ce sera rendu possible puisque
les abbayes de Limon et de Jouques toutes les deux détentrices de la majeure
partie de l’œuvre de la religieuse, vont
ouvrir leur musée jusqu’alors plus ou moins confidentiel à un public qui
s’élargit de plus en plus. Déjà à Limon les œuvres bénéficient d’une nouvelle
présentation mise en place pour la première fois lors des journées du
patrimoine de septembre 2012. Comme l’a souligné une intervenante, l’œuvre de
Mère Geneviève Gallois qui a pu paraître sans doute trop novatrice quand elle a
été créée, prend en revanche désormais tout son sens. Avec sa force, son
expressionnisme qui décrit si bien l’homme qui a souvent tant de mal à être un
saint ou même à se comporter dignement,
rejoint une actualité qui est aussi la nôtre. Mais au-delà et le jeu des
couleurs flamboyantes est là pour l’évoquer, il y aussi tous les espoirs que nous pouvons
mettre dans des lendemains que nous souhaitons meilleurs.
L’art et son message universel y
tient une grande place. C’est un honneur pour Vauhallan de posséder parmi les
multiples facettes de son patrimoine, le
trésor d’une des grandes artistes du XXème siècle.
[1]
Notre-Dame-de-la-Fidélité à Jouques est une fondation de Saint-Louis du Temple
datant de 1967
[2]
Catherine Marès, Le génie et le cloître. Une
biographie spirituelle et artistique de Mère Geneviève Gallois, Ed.
Nouvelle Cité, 2012
[3] Noël
Alexandre, Mère Geneviève Gallois,
bénédictine, peintre, graveur, verrier, Bruxelles, Marot, 1999.
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